Histoire de l'orphelinat

Témoignage de Guillaume Sorin

C’est ainsi que je suis accueilli par le Père Maximin Massi. Bonne arrivée ! Deux heures de vol et nous voilà déjà à Cotonou après des formalités d’entrée très simples. J’ai voyagé avec la délégation de Montligeon mais nous nous séparons de nouveau quelques jours. Ils partent retrouver les groupes de prières de la fraternité et je pars de mon côté avec le Père Maximin pour une nouvelle aventure Au cœur du Bénin avec les orphelins. Ce sera pour moi aussi une grande aventure pour notre prochain projet de pèlerinage.

A 30 mn de l’aéroport, mon chauffeur Roméo (parce qu’il en faut un... au milieu de cette multitude de petites motos et surtout de l’absence quasi totale de panneaux indicateurs...) quitte la route principale pour emprunter une petite piste qui nous amène directement à l’orphelinat de Calavi. Quel accueil ! Une cinquantaine d’enfants pieds nus m’entourent en me saluant avec révérence, certains me touchent, étonnés de voir un blanc (un peu pâle sans doute), m’appellent papa, viennent spontanément dans mes bras. Je m’installe, ému et j’écoute leurs beaux chants d’enfants... « Bonne arrivée, bonne année avec Jésus... » Difficile de retranscrire ce que je vis dans cet environnement si modeste, si pauvre mais si digne. Après une petite visite rapide des lieux, la cuisine (en plein air au feu de bois), le poulailler, les cochons, le jardin, je prends la dimension des choses. Grâce aux dons reçus des pèlerins, des bienfaiteurs, de l’association, le projet a pris de l’ampleur. Le bâtiment est grand mais il reste tellement à faire. Seuls deux niveaux sont utilisés très sommairement.

Souhaitant passer du temps avec les enfants, je m’assieds dehors, par terre, simplement et ils me demandent de leur raconter des histoires... Même les plus grands... Je n’avais rien prévu de tel. Alors je parle de chez nous, simplement, du froid, des saisons, de la neige. Un peu compliqué à expliquer mais les liens se tissent et ils sont de plus en plus nombreux autour de moi. Finalement, à court d’idées je prends une petite capsule écrasée qui traîne par terre et je m’engage dans un petit tour de magie en tentant de la faire disparaitre dans mon bras. Ce n’est plus 10 mais 20 puis 30 enfants qui s’amassent autour, au-dessus pour voir. La « glace est brisée » si je peux dire avec les 30° à l’extérieur... Finalement, mon tour de magie réussi, les plus petits prennent peur pensant que je suis un sorcier... je dois bien vite leur expliquer l’astuce pour les rassurer. Tout le monde rit et je comprends la détresse de ces enfants par le manque de présence des parents. Je vais m’appliquer pendant ces quelques jours à être bien présent avec eux pour ces instants précieux. Le soir, pendant le dîner, le Père Maximin et sœur Aline, laïque consacrée qui s’occupe de l’orphelinat, me racontent quelques histoires de ces enfants et comment ils sont arrivés là.

 

 

« Il y a des choses qu’on ne voit qu’avec le cœur »

Père Maximin : « J’avais quatre ans quand mon père est mort en 1966. Mes quatre frères et sœurs moururent aussi l’un après l’autre. Mon oncle paternel me prit alors sous son toit. Il avait lui-même cinq enfants. J’étais le treizième enfant orphelin qu’il secourait, le dix-huitième enfant dans sa petite maison.
Avec son épouse Catherine, ils s’occupaient de nous avec grand amour et profonde générosité malgré le peu de ressources matérielles dont ils disposaient en tant qu’infirmier et ménagère. Pendant le week-end, les congés et les vacances nous faisions des travaux champêtres, ainsi que l’élevage qui nous procuraient les céréales et légumes nécessaires à notre subsistance. La bonté et le sens d’oblation de mes bienfaiteurs furent l’élément déclencheur de ma vocation de serviteur des enfants en situation difficile. Je compris que la décision d’un instant peut impacter grandement une vie et qu’il n’y a pas de limite à la générosité. Je savais alors que toute ma vie serait consacrée au plus petit, au plus vulnérable, au plus pauvre.
Ma première année à l’université (1983 -1984) je commençais à m’occuper de quelques enfants pauvres que je rencontrais. Je relisais mon histoire en eux et m’efforçais de leur témoigner l’amour qui m’a moi-même sauvé : nourri, éduqué, instruit, vêtu, abrité, soigné… « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ».
Mon accession à la fonction publique comme professeur au collège (en 1985) donnera un peu plus d’ampleur à la mission. Mon salaire m’offrait l’opportunité de placer certains enfants dans des familles ou de leur apporter mon soutien dans leurs propres familles. Mon ordination sacerdotale en janvier 1997 marqua un tournant dans cette mission, suite à une rencontre avec sœur Aline Tobossi Namèdé, laïque consacrée qui ressentait le même appel que moi. La mission commençait à s’organiser, les enfants regroupés dans différentes maisons louées vivaient sous la bienveillante garde de la sœur et d’autres femmes (veuves) qui s’occupaient d’eux ainsi que de leurs propres enfants. Nous avons vécu cette expérience quelques années avant de construire l’orphelinat où les enfants sont actuellement logés à Djadjo (Calavi).

(Le père Maximin est devenu ensuite formateur au grand séminaire de Ouidah. Mais l’œuvre continuait. Des séminaristes, aujourd’hui prêtres, me témoignaient que tous les midis, au séminaire, le père Maximin « disparaissait » avec sa grande voiture à l’heure du repas. Intrigués, ils ont fini par se renseigner pour s’apercevoir qu’il allait tout simplement à l’école chercher les enfants qui habitaient loin pour les ramener chez eux pour qu’ils puissent manger et il les ramenait ensuite... n.d.l.r.)

« L’œuvre des Orphelinats Sainte Famille Maison des Enfants (OSFME) s’est affermi avec le travail soutenu des uns et des autres : Mgr Antoine Ganye, archevêque Emérite de Cotonou, M. Roméo Hidjo (lui-même accueilli comme orphelin, devenu comptable et maintenant au service des orphelinats comme comptable mais aussi chauffeur, « homme de confiance... »). Des vocations se confirment à la suite de sœur Aline pour se consacrer totalement à cette mission. Des orphelines, accueillies sont aujourd’hui en formation sanitaire pour à leur tour, mieux s’occuper des enfants. Les enfants que nous accueillons sont en situation d’extrême pauvreté, de grande précarité. C’est pourquoi nous ne leur prenons aucune contribution financière. Nous nous organisons pour leur donner nous–mêmes le nécessaire. Aujourd’hui, c’est plus de 108 enfants que nous accueillons sur deux sites. »

 

L’accueil des enfants Père Maximin :

J'ai rencontré l'amour : « Quand j’étais curé au nord du Bénin, j’accueille un jour une femme en pleurs : “Mon fils va mourir, je vous en supplie aidez-moi”. L’enfant est décharné avec de la fièvre et une profonde blessure à l’épaule. La maladie régnait en maître dans ce petit corps. La maman me dit qu’ils ont tout essayé, toutes les tisanes possibles, ne pouvant payer le dispensaire.
L’enfant souffrait du paludisme. Les remèdes pharmaceutiques nécessaires au traitement de ce mal, qui tue en Afrique plus que le SIDA, ne manquent pas, mais certains ne disposent même pas de mille francs CFA (un euro cinquante) pour s’en procurer.
Le spectacle qu’offrait l’enfant malade était préoccupant. Je m’empressai de le conduire à l’hôpital. Un peu après notre arrivée, il se mit à vomir du sang et entra dans le coma ! Le médecin réussit à sauver de justesse l’agonisant, selon sa propre expression. Il me confia à son retour de l’hôpital après une semaine d’hospitalisation : « Vous seriez venus quelques cinq minutes plus tard, il aurait été peut-être impossible de l’arracher à la mort. » C’était en 1982. Je venais de réussir au baccalauréat et travaillais comme répétiteur de cours dans les maisons. J’ai pu soigner cet enfant et payer son inscription à l’école en 1983. Aujourd’hui, il a 41 ans et a une situation qui lui permet d’aider d’autres enfants en situation difficile. Il aimait dire : « j’ai rencontré l’amour qui m’a relevé et soutenu ; je serai aussi l’amour pour relever ceux qui tombent, affaiblis par la maladie et la faim. »

Orpheline, directrice d’école « Un soir, fatigué, je faisais mon chapelet le long des murs de l’université. Je rencontrai une jeune fille qui sortait du Lycée Sainte-Marie. Elle me regardait d’un regard interrogateur et j’interrompis ma prière en la saluant. C’était en 1999.
- Vous venez du Lycée mais vous n’avez pas l’uniforme des élèves.
- Non je ne suis pas élève. Je fais partie de l’équipe de nettoyage du Lycée. Je suis la plus jeune.
- Mais vous vous exprimez très bien en français, vous n’allez plus à l’école ?
- J’y allais, non sans grande difficulté après la mort de mon père. Quand ma mère est morte l’année dernière et n’ayant plus aucun soutien, j’ai dû abandonner l’école pour chercher du travail pour m’occuper de mes trois jeunes frères et sœur.

J’ai donné rendez-vous à cette fille à l’Université et je lui ai fait reprendre la classe de première qu’elle avait abandonnée, tout en m’occupant comme je le pouvais, de ses jeunes frères et sœur orphelins comme elle. Elle a réussi brillamment à son baccalauréat l’année suivante puis à un concours de recrutement des enseignants au Lycée. Après un stage de formation, elle a trouvé du travail et réussi à deux autres examens professionnels. Elle m’a annoncé il y a quelques années les larmes aux yeux, qu’elle venait d’être nommée directrice d’école. Elle s’occupe bien de ses deux frères et de sa sœur qui donnent de très bons résultats à l’école et qui ont beaucoup de chance pour leur avenir. »

Le Père Maximin m’a raconté de nombreuses histoires d’enfants recueillis que je ne peux pas retranscrire ici. Aujourd’hui, après des cours à l’université, plusieurs jeunes orphelins ont trouvé du travail. Un est devenu professeur d’Espagnol (photo) et revient tous les dimanches à l’orphelinat pour apporter de la joie et aider les enfants pour leurs devoirs. Une autre est en école de journalisme, une autre veut devenir médecin, d’autres en écoles d’infirmières, de coiffure, de couture...
« La vie d’une personne n’est jamais complètement cendre. Il y a toujours dans la cendre un bout de charbon qui n’est pas éteint que l’on peut rendre délicatement et avec le souffle de l’espoir, du bon air, refaire le feu de l’amour, la lumière qui éclaire la nuit... »